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BD
Tartuffe. Volume 1
Edité par Delcourt - paru en impr. 2008
Tartuffe, un faux dévôt, entre dans une famille bourgeoise du XVIIe siècle et tente de prendre le contrôle des esprits à des fins personnelles. Orgon, le chef de famille, se laisse faire jusqu'à céder des choses impensables. Adaptation en bande dessinée d'une des plus célèbres comédies du théâtre français.
Tartuffe 1
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Gageure réussie
Pas évident d'adapter en BD une pièce classique (en alexandrins qui plus est) qui se déroule pour l'essentiel dans la maison d'Orgon, ce bourgeois qui s'est toqué du (faux) dévot Tartuffe au point de le sortir de la gêne où il se trouvait et de l'accueillir sous son toit, où il a vite pris le rôle d'un censeur et directeur de conscience pour toute la maisonnée (tout en ayant des vues sur l'épouse d'Orgon). Finement, Duval (scénariste) et Zanzim (dessin) optent pour une mise en scène d'inspiration assez cinématographique, profitant des échanges entre les divers personnages pour sortir du luxueux hôtel particulier et les faire dialoguer ou s'affronter sur les quais de Seine, au Louvre, aux Tuileries, à la campagne... avec en arrière-plan de multiples actions secondaires (spectacle de rue, vie commerçante, bal costumé...) et paysages urbains . Ils montrent aussi, comme au cinéma encore, les personnages absents dont il est question (y compris le Roi), voire des actions passées évoquées (comme celle, d'éclat, accomplie par Orgon pendant la Fronde). Il y a aussi des pages où le dessin se libère de la narration ou de l'illustration en faveur d'une grande fantaisie graphique plutôt onirique et pleine d'humour. Le tout en faisant entrer le texte intégral en vers (bien signalés par les majuscules) dans les bulles. Et quels vers, souvent jouissifs tant par leur virtuosité formelle que par leur côté cinglant : on conseille de les lire à voix haute pour bien les goûter! Une nouvelle fois chez Molière, on admire la force des personnages féminins, qui n'ont ni la langue dans leur poche ni froid aux yeux. Ici Elmire, femme dOrgon, qui monte le stratagème destiné à confondre l'imposteur, et la domestique Dorine, suivante de Mariane, fille d'Orgon. On a souvent envie d'applaudir leur aplomb, leur courage et leur verve. Car sous ce dessin volontiers très coloré, on retrouve bien la force et l'importance des enjeux de cette comédie sombre, sa gravité et même, vers la fin, sa grande violence. On sent une nouvelle fois que ce thème de l'emprise de la religion - ou au nom de la religion - sur la vie des gens, particulièrement de la part d'esprits manipulateurs avides de pouvoir, de biens ou/et de jouissances bien charnelles, doit être de ceux qui touchent fortement Zanzim et l'inquiètent profondément. Dans le tout récent et superbe "Peau d'homme" - avec le regretté Hubert au scénario -, on retrouve cette préoccupation très forte, cette fois à l'époque de Savonarole, de même qu'on retrouve au cœur des deux ouvrages le sujet de la liberté féminine. Intéressant, justement, de mesurer à la lumière de "Peau d'homme" (2020) l'évolution du dessin lui-même et des couleurs, depuis ce "Tartuffe" qui date déjà de 2008. Rencontre réussie donc, à savourer en trois volumes.
Renzo Pianissimo - Le 17 février 2021 à 16:52