"Escale musicale" de l'été la nouvelle scène jazz française
Stéphane Kerecki (DR)
Cet été, partez à la découverte du jazz "made in France" à travers une série d'articles et de sélection à consommer sans modération. Dernier épisode, consacrée à la nouvelle scène française.
Cette série se décline en cinq volets qui seront diffusés tout au long de l'été 2023.
- Ep.1 : Introduction au jazz français
- Ep.2 : Le jazz à Saint-Germain-des-Prés
- Ep.3 : Le renouveau (1960-1990)
- Ep.4 : Le jazz-rock
- Ep.5 : La nouvelle scène
Forts de l’héritage de leurs aînés et de l’apprentissage dans des écoles prestigieuses, les jazzmen d’aujourd’hui puisent toujours dans l’énergie de la scène d’où on jaillit des familles d’artistes.
Autour de trois artistes dont un tandem, un pan du jazz français actuel est né. Leurs points communs : leur façon de se réinventer à chaque album, leur capacité à travailler comme des fous et à collecter des sources inépuisables de musique. Tous ont été auréolés des prix les plus prestigieux pour récompenser leurs talents de virtuose, de compositeur et d’arrangeur. Auteurs chacun d’une dizaine d’albums.
Dans l’ordre d’apparition, Pierrick Pédron, le duo Vincent Peirani- Émile Parisien suivi de Stéphane Kerecki.
Voici un aperçu de ses trois artistes à partir de trois titres chacun.
Pierrick Pédron
Enfant du rock, le saxophoniste alto Pierrick Pédron sait marier son style bebop à merveille avec un son rock, psyché et d’autres influences diverses : psyché-turc, triphop, éthio-jazz, les Cures mais aussi le son des fanfares de son enfance comme dans l’album Cheerleaders (majorette en anglais) qui met en scène les rêves tourmentés d’une majorette.
The Cloud, album "Cheerleaders" – 2011
Du bal pop au psyché pop. Final explosif avec les poussées du saxophone pour finir en douceur avec le piano accompagné d’un riff de guitare. Les instruments vont se fondre progressivement pour faire place à la fanfare finale.
MonkPonkTrain, album "And The" – 2016
Montez à bord du MonkPonktrain qui ouvre And The et vous n’en descendrez plus, emportés par la puissance et la magnificence du rythme, des orchestrations qui mêlent groove, énergie survoltée, mélange des genres allant de la Blaxploitation aux bandes sons S.F., du rock à l‘éthio-jazz tout en gardant une ligne bop.
Sakura, album Fifty-Fifty – 2022
Pierrick Pédron, s’est offert pour ses cinquante ans un double album Fifty-fifty (2021) qu’il a voulu enregistré à New-York avec des musiciens américains dans la pure tradition bop digne des grands clubs de jazz new-yorkais.
Parmi les titres de l’album : Sakura, une très belle ballade bop. Entrée du sax sur le solo très apaisant du piano, saxophone bientôt rejoint par la section rythmique.
Le duo Vincent Peirani et Émile Parisien
Il faut les voir sur scène pour comprendre à quel point ce duo- composé de l’accordéoniste Vincent Peirani et du saxophoniste soprano et alto Émile Parisien est à ce point intense. Lorsqu’ils jouent, on dirait qu’s’ils exécutent une danse : l’un est grand (deux mètres) et semble se consumer de l’intérieur tandis que l’autre semble sortir de son corps. Vincent et Émile s’invitent dans leurs albums respectifs ou bien ont réalisé des albums en duo comme Belle Époque (2014), qui est une commande d’après le répertoire de Sidney Bechet. Au début peu enthousiastes, ils ont su en faire un petit chef d’œuvre de fantaisie et de légèreté.
Hysm, Belle Époque – 2014
L’incroyable complicité dans l’étirement de la matière sonore, l’extrême lenteur : Vincent Peirani se déploie tout doucement dans le registre aigu de l’accordéon, le registre le plus difficile qui nécessite une maîtrise impeccable du soufflet.
Temptation Rag, Belle Époque – 2014
À l’inverse du morceau précédent, leur complicité dans une folie débridée, le goût du risque (Vincent Peirani dit d’Émile : la première fois que je l’ai vu sur scène, je me suis dit, ce mec- là, il est fou, il se met en danger)
Kashmir to Heaven, Living Being II Night walker – 2018
Dans Living Being Vincent Peirani voulait passer d’un répertoire à l’autre qu’il soit classique, rock, chanson, musiques du monde tout en restant infiniment jazz. Living Being alterne entre des moments d’une infinie délicatesse et douceur à des purs moments de rock dont l’apogée est le morceau en trois parties « Kashmir to Heaven » d’après les Led Zepellin : l’énergie de ce groupe légendaire y culmine sans aucune guitare !
Après les univers psyché rock et post-bop de Pierrick Pédron, l’album Belle Époque ou le répertoire Nouvelle-Orléans revisité à partir des musiques du monde, des compositeurs du début du siècle et du jazz bien sûr, voici Stéphane Kerecki.
Stéphane Kerecki
Son univers est plus apaisé, difficile de jouer du rock avec une contrebasse. Stéphane interroge lui aussi les frontières de l’imaginaire avec cette fois-ci le monde du cinéma et plus précisément la période de la Nouvelle Vague qui pousse au maximum le concept de liberté, socle commun entre le jazz et le cinéma. Je cite : « La remise en question de conceptions esthétiques classiques, la revendication de la déconstruction spatiale mais aussi l’inutilité de certaines scènes, guidés par le simple plaisir de faire du cinéma (comme les musiciens de jazz peuvent être guidés par le simple plaisir de faire sonner leurs instruments) … sont autant de caractéristiques qui m’ont inspiré dans l’écriture de ce disque. » Quête vers la liberté des personnages comme la course effrénée sur la plage d’Antoine Doisnel qui clôture la scène finale des 400 Coups ou bien comme Ferdinand toujours au volant de sa voiture dans Pierrot Le Fou que l’on écoute ici.
Ferdinand d’après Pierrot Le Fou de Jean-Luc Godard, album Nouvelle Vague – 2014
Playground Love d’après Air, album French Touch – 2018
Après la Nouvelle Vague du Cinéma, ce que nos voisins anglais ont surnommé la Nouvelle Vague de la musique française : La French Touch ou la musique électronique revue par Stéphane Kerecki.
The Fox, album Out of the Silence, 2022
Dernier album de Stéphane Kerecki. Pour sortir du silence. Stéphane s’est faite sienne la formule de Jean-Luc Godard, je cite : « Il me semble que l’on peut entendre les images et voir la musique. »
Pour découvrir ces artistes, Paris est une des capitales du jazz.
La scène parisienne du jazz s’est déplacée de Saint-Germain des Prés à Châtelet avec ses trois clubs de la rue des Lombards (Le Sunset, le Baiser salé, le Duc des Lombards) jusqu’à l’Est parisien (le New Morning, le Studio de l’Ermitage, le Pan Piper, le Triton) et depuis deux ans à l’Ouest avec l’ouverture du Bal Blomet dans le XVème.
Sur les ondes, des émissions quotidiennes font la part belle à la scène actuelle que ce soit sur France Musique avec Open Jazz d’Alex Dutilh et BanzzaÏ de Nathalie Piolé sans oublier le club de Jazz à Fip.
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Par Anne-Laure Chatelot, bibliothèque Buffon