"Escale musicale" de l'été le renouveau du jazz français (1960-1990)
Eddy Louiss et Michel Petrucciani, album Conférence de presse, 1994" alt="Eddy Louiss et Michel Petrucciani, album Conférence de presse, 1994
Cet été, partez à la découverte du jazz "made in France" à travers une série d'articles et de sélection à consommer sans modération. Troisième épisode, consacrée au renouveau du jazz français, entre 1960 et et la fin des années 1990.
Cette série se décline en cinq volets qui seront diffusés tout au long de l'été 2023.
- Ep.1 : Introduction au jazz français
- Ep.2 : Le jazz à Saint-Germain-des-Prés
- Ep.3 : Le renouveau (1960-1990)
- Ep.4 : Le jazz-rock
- Ep.5 : La nouvelle scène
Avec la disparition de Django Reinhardt en 1953, puis celle de Sidney Bechet en 1959, le jazz en France s’essouffle. Le jazz Nouvel-Orléans et les grands orchestres de swing des années 1940 sont passés de mode, le temps est au rock. Le jazz évolue très vite, se complexifie et cesse progressivement d’être une musique grand public.
Une nouvelle génération de musiciens français arrive avec une nouvelle musique, un nouveau style de jazz, le bebop.
Martial Solal
Martial Solal qui a commencé sa carrière professionnelle en 1945, fait le lien entre les deux générations de musiciens, qu’elles soient issues du swing ou du bebop. Très rapidement, il se met à cette nouvelle musique et intègre toutes ses subtilités.
Grand amateur d’Art Tatum, le style de piano de Martial Solal est virtuose, inventif et plein d'humour. Un talent exceptionnel d’improvisation, une technique irréprochable, un style très personnel fait de ruptures et de digressions harmoniques. Comme compositeur, il a touché tant au classique qu'au jazz, en petite ou en grande formation. Il a écrit aussi pour le cinéma. Il s’est illustré notamment dans À bout de souffle de Jean-Luc Godard. Aux États-Unis, il est très tôt reconnu comme l’égal des grands pianistes américains.
Martial Solal, Yardbird suite d’après Charlie Parker, album Unreleased Los Angeles Sessions, 1966
On retrouve dans cette reprise audacieuse du thème de Charlie Parker Yardbird suite, Martial Solal au meilleur de sa forme. On notera la fantaisie du musicien, les clins d’œil à Thelonious Monk avec ses fameuses dissonances ; une inventivité éblouissante : des arrêts brusques, des passages accélérés ainsi que l’utilisation dramatique de registres extrêmes.
Martial Solal a influencé de nombreux musiciens, à commencer par Manuel Rocheman. On peut également citer Jean-Michel Pilc, Baptiste Trotignon ou Franck Avitabile. Il reste néanmoins, au vu de son apport au piano jazz, un musicien sous-estimé.
Eddy Louiss
Pianiste, trompettiste, chanteur (il a chanté avec les Double Six), c’est surtout un fameux organiste. Un peu par hasard, grâce à Lou Bennett, il va se mettre à l’orgue Hammond et devenir très vite, un des plus grands organistes de jazz, grâce à son talent mais aussi à ses rencontres.
Il va rencontrer Kenny Clarke et former un trio avec le guitariste américain Jimmy Gourley d’abord puis avec le belge René Thomas, grâce auquel le style d’Eddy Louiss va pouvoir s’épanouir. Dans cet extrait, on notera l’importance de la batterie dans le jazz (celle de Kenny Clarke, inventeur avec Max Roach de la batterie moderne). L’organiste énonce le thème Nardis de Miles Davis. Kenny Clarke est très présent et encadre le propos d’Eddy Louiss. Il multiplie les interventions à la caisse claire et/ou à la grosse caisse pendant que la cymbale et le charleston marquent le tempo.
Eddy Louiss, Nardis d’après Miles Davis, album Eddy Louis Trio, 1973
Eddy Louiss, c’est un sens du groove, du swing et de la mélodie avec beaucoup de retenue : pas de notes superflues.
C’est aussi une sonorité singulière, à la fois pure, douce et incisive, rappelant parfois plus le piano que l'orgue. Il se démarque de ses collègues organistes en évitant les clichés et la surenchère sonore ou les effets gospel trop appuyés.
Parmi sa longue discographie, on notera les albums en compagnie de Daniel Humair et Jean-Luc Ponty ( le trio HLP), ceux avec le big band Multicolor Feeling ainsi qu’une conversation mémorable enregistré au Petit-Journal Montparnasse en compagnie de Michel Petrucciani dans l’album Conférence de Presse. Mais aussi de l’avant-garde avec John Surman.
De tous les organistes de son époque, il est probablement celui qui s’est démarqué le plus du père fondateur, l’américain Jimmy Smith.
Stan Getz "Dynasty" (1970)
En 1970, c’est au tour de musiciens français de renvoyer l'ascenseur aux américains avec le saxophoniste Stan Getz qui va venir écouter le trio d’Eddy Louiss en club à Paris. Plutôt insensible aux charmes de l’orgue hammond, il va néanmoins tomber amoureux de leur musique et leur proposer de jouer ensemble. Ils vont signer un double album enregistré en concert, Dynasty qui marque le retour au premier plan de Stan Getz dont la carrière stagnait depuis un bon moment. Ici, on l’écoute bien loin des bossa nova dont il s’était fait une spécialité. Sous un répertoire original signé Eddy Louiss, on notera l’atmosphère créée par le jeu de l’organiste qui soutient le lyrisme du saxophoniste. Cet album va relancer la carrière de Stan Getz qui ensuite enregistrera de nouveau, notamment avec Chick Corea.
Stan Getz, Dum ! Dum ! – album Dynasty, 1971 featuring René Thomas, Eddy Louiss, Bernard Lubat.
Michel Petrucciani "Conférence de presse" (1994)
On retrouve quelques années plus tard de nouveau Eddy Louiss , mais cette fois-ci en compagnie du pianiste Michel Petrucciani pour Conférence de presse, un album enregistré en concert dans un club parisien en 1994. Un moment de grâce où l’organiste et le pianiste dialoguent, avec des similitudes et des clins d’œil réciproques dans leurs envolées mélodiques.
Un jazz généreux, enjoué, espiègle.
Michel Petrucciani et Eddy Louiss, Amesha, album Conférence de presse, 1994
Richard Galliano Michel Portal "Blow Up" (1997)
Un autre sommet du jazz français. Avec l’album Blow Up et le titre Taraf, voici deux musiciens essentiels du jazz mondial. Cette fois dans un style de jazz très diffèrent. Loin du blues et du swing habituel joué par les américains, mais un hommage à la musique tsigane cher à Richard Galliano.
Il y a dans le jazz français toute une génération de musiciens comme Michel Portal, Bernard Lubat ou Henri Texier qui vont cesser de jouer des standards de jazz américain pour se concentrer sur leurs compositions et intégrer leur propre folklore.
Pour autant, si l’accordéoniste Richard Galliano et le multi-instrumentiste (clarinette, saxophone, bandonéon) Michel Portal se sont inspirés des musiques du monde dans l’album Blow Up, on retrouve leur propre langage musical, une liberté et un phrasé propre aux musiciens de jazz.
Richar Galliano et Michel Portal, Taraf, album Blow Up, 1997
Barney Wilen "French Ballads" (1987)
La carrière du saxophoniste franco-américain Barney Wilen a commencé en trombe. Très jeune, il va jouer avec des grands musiciens américains. On le retrouve sur la bande originale du film de Louis Malle, Ascenseur pour l’échafaud sorti en 1957 en compagnie de Miles Davis par exemple. Dans un style proche de Sonny Rollins, il va avoir une carrière assez inconstante. Il donnera rarement le meilleur de lui-même dans les enregistrements studio, assez loin de ses prestations en concert. Les problèmes d’addictions aux drogues, comme beaucoup de musiciens de cette époque, vont gêner sa carrière. Il va progressivement s’éloigner du jazz bebop dont il était un des meilleurs représentants français pour s’essayer au free jazz et aux musiques du monde. En dépit d’un succès d’estime, il finira par tomber dans l’oubli.
Heureusement, sa carrière est relancée grâce à la bande-dessinée Barney et La note bleue, parue en 1987 :une biographie romancée du musicien, écrite et illustrée par le tandem Loustral-Paringaux.
L’album qui fera suite à la bande-dessinée connaîtra un grand succès critique et public. Il revient au bebop et cette fois, il a un style immédiatement reconnaissable. Il s’est détaché de ses aînés, sa sonorité est magnifiquement équilibrée et son discours, sans faille.
Après cet album il va énormément enregistrer comme pour rattraper le temps perdu. Il va enregistrer ses plus beaux albums. Un exemple, l’album French ballads sorti peu après la Note bleue en 1987avec le titre Syracuse d’Henri Salvador.
Barney Wilen, Syracuse d’après Henri Salvador, album French ballads, 1987
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Par Jean-Pierre Bourrachau, Bibliothèque Louise Walser Gaillard