Mais qui es-tu, Emmanuelle Houdart ?
L'auteure et illustratrice Emmanuelle Houdart est à l'honneur dans les bibliothèques de la Ville. Après avoir illustré notre hors-série des meilleurs albums jeunesse en fin d'année dernière, elle expose ses illustrations originales à la médiathèque Françoise Sagan tout au mois d'avril. L'occasion d'en apprendre un peu plus sur elle.
Née en 1967, Emmanuelle Houdart vit et travaille à Paris. Auteure et illustratrice, elle développe un univers graphique animant l’inanimé, hybridant l’animal et l’humain, le merveilleux et le monstrueux, composant des représentations narratives où les personnages sont pourvus d’attributs symboliques qui traduisent leur identité comme leur état émotionnel.
Elle a publié une vingtaine de livres depuis 1996, principalement des albums pour enfants. Elle a aussi produit des illustrations pour la presse adulte et jeunesse, et animé de nombreux ateliers au sein d’établissements scolaires. Son travail circule par ailleurs sous forme d’expositions itinérantes.
>> http://emmanuellehoudart.fr/
>> Tous les ouvrages d'Emmanuelle Houdart en bibliothèque
Comment es-tu venue à l’illustration ?
Par une petite porte dérobée que quelques éditeurs m’ont ouverte, au tout début de ma vie d’artiste ! J’étais plutôt partie pour devenir plasticienne, mais cette vie-là m’a paru trop solitaire et épineuse; j’ai choisi une voie moins radicale, plus en lien avec l’autre. Dans l’univers du livre, je suis bien, je m’y sens chez moi, entre les mots et les images.
Tu as réussi à imposer un univers très singulier et envoûtant. Comment construis-tu tes histoires dessinées?
J’ai d’abord une idée (que je trouve généralement en prenant mon bain ). Si elle «accroche», ça peut donner un livre. Beaucoup d’idées se décrochent d’elles-mêmes, comme les feuilles d’automnes; il faut les laisser s’en aller: c’est pas le printemps tous les jours ! Ensuite, j’écris le texte, plus ou moins jusqu’au bout, car il me faut une structure solide pour dessiner. Je prends beaucoup de temps pour faire un livre. Je n’en fais qu’un par an et j’ai envie qu’il soit la meilleure chose que je puisse faire. Je me nourris chaque jour de ce que je vois, de ce que je vis, de mes petits chagrins, de ma peur d’aller chez le dentiste un matin, d’un grand câlin avec mon fils, des discussions avec ma fille, avec mon mari, de soirées avec des amis, je fais provision de sensations pour faire mon livre. C’est pourquoi je ne le presse pas.
Tu dis qu’il ne faut pas craindre de montrer aux enfants l’étrange autant que le merveilleux, qu’il ne faut pas avoir peur de «déjouer la peur», en la montrant, par exemple. Explique-nous.
C’est bizarre, cette récente idée que les enfants seraient inaccessibles à l’étrange (alors qu’il ont pratiquement inventé cette notion), que les enfants seraient des trucs fragiles et cassables (alors qu’ils ont une force de résilience immense), que les livres ne doivent pas parler de ce qui fâche. Mais alors, qui parlera aux enfants de ce qui fâche? De ce qui déraille dans la vie? De ce qui peut les tourmenter? Je défends la lucidité: la lucidité quand elle s’exprime avec bienveillance, avec amour, avec fantaisie, mais la lucidité quand même.
Tu penses que les plus jeunes peuvent aborder tes livres. Crois-tu que la question de l’âge des jeunes lecteurs a un sens ?
J’ai fait quelques albums pour les petits. Tout va bien Merlin (Thierry Magnier ), par exemple, a été offert à tous les nouveau-nés de l’Ardèche, il y a quelques années, et mon récent livre Abris (Les Fourmis Rouges), aux nouveaux-nés du Cantal! Mais je pense surtout que, plus qu’une question d’âge, la question est celle plutôt de la nature de l’enfant lecteur ou de passage dans la vie que traverse l’enfant à qui on lit le livre. Autrement dit, les livres et les enfants sont faits pour se rencontrer, mais à la condition qu’on ne leur propose pas n’importe quels livres, pas n’importe quand...
Quelles sont tes références ou tes influences, dans le domaine de l’illustration? Plus largement, quelles sont tes sources d’inspiration?
J’aime beaucoup de choses qui n’ont pas forcément de lien avec l’illustration: j’aime l’univers du tatouage, les anciens tatouages de marins et leur symbolique douloureuse, j’aime les artistes de l’art brut, cette insistance dans leur gestes répétitifs, quelque chose de vital, voilà. Ce qui me touche beaucoup, c’est quand l’art est lié à une nécessité. Lorsque j’étais plus jeune, j’adorais Van Gogh, Egon Schiele, Jérôme Bosch, Roland Topor. Dans l’illustration, j’aime l’univers de Kitty Crowther, celui d’Anthony Browne, de Peter Sis, de Nikolaus Heidelbach. Je reçois chacun de leurs livres comme un cadeau, un témoignage important. Je lis aussi beaucoup d’albums à mon fils Merlin et j’ai adoré récemment le livre de Fanny Michaëlis, Une île, un conte merveilleux et métaphorique.
Je pense qu’un livre est une chose précieuse à mettre au monde.
Tu accordes une importance primordiale au temps de gestation d’un livre. Quelle est ta philosophie de travail ?
Je pense qu’un livre est une chose précieuse à mettre au monde. Je suis peu attirée par la profusion (sauf par exemple pour un petit-déjeuner avec plein de croissants, de brioches et de confitures différentes ), mais plutôt par le soin délicat à produire un travail qui pourra ainsi avoir des airs immortels, traverser des époques, se jouer des modes. Mais c’est aussi pour moi une sorte de talisman de créer un livre par an; c’est une structure mentale et physique pour toute l’année, qui me tient en alerte, qui me tient debout (ou plutôt assise !.. à ma table), qui cadre mes débordements et mes angoisses.
Quelles techniques emploies-tu pour dessiner ? Quel rôle joue la couleur?
Je travaille avec des feutres à l’alcool, sur du papier bristol. La couleur n’est pas dissociable du reste : elle fait partie de l’équilibre que l’on cherche en dessinant, équilibre des formes, équilibre dans l’espace de la feuille. La couleur est le grand moment de plaisir, quand on a terminé le dessin au trait; il faut conserver une concentration extrême pour trouver cet équilibre.
Quelle lectrice étais-tu, enfant ?
J’adorais lire. Nous étions trois filles et mes sœurs étaient plutôt sportives. Pour me différencier - ce que j’ai fait avec acharnement toute mon enfance -, je me suis mise à lire de plus en plus. Mes parents me commandaient des romans de la Comtesse de Ségur reliés en simili-cuir bleu (la grande classe!) que je lisais et relisais.
Peux-tu nous dire quelques mots de ton prochain livre ?
Mon prochain livre raconte l’histoire d’un jeune garçon sensible et fantasque qui décrit sa planète (la nôtre). Mais c’est un peu comme s’il décrivait son monde intérieur: en fait, il invente tout, prend ses désirs pour la réalité et augmente et déforme celle-ci à son avantage. Il paraîtra en septembre 2016, aux éditions Les Fourmis rouges.
Entretien réalisé par Paris Bibliothèques
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